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Complimenter ses enfants, une fausse bonne idée ?

Article publié le 12 février 2021 (mis à jour le 01 février 2023) - 0 commentaires
3 minutes
Chaque 1er mars, depuis 2003, c’est la Journée mondiale du compliment. Venue des Pays-Bas, cette journée se veut « la plus positive dans le monde ». Le jour venu, peut-être vous sentirez-vous d’humeur à complimenter davantage vos collègues de travail, vos proches et, bien sûr, vos enfants ?
Laëtitia Leroy

Laëtitia Leroy

Responsable du service pédagogie Acadomia

Chaque 1er mars, depuis 2003, c’est la Journée mondiale du compliment. Venue des Pays-Bas, cette journée se veut « la plus positive dans le monde ». Le jour venu, peut-être vous sentirez-vous d’humeur à complimenter davantage vos collègues de travail, vos proches et, bien sûr, vos enfants ? Prudence cependant : un compliment ne vise (hélas) pas toujours juste et, pire encore, il peut avoir des effets tout à fait contraires à ceux que vous espériez !

C’est en tout cas ce que montre un article de 2013 au titre évocateur : « Compliments, motivation et estime de soi : l’effet paradoxal de féliciter les capacités d’enfants ». Les auteurs, Mikkel Hansen, Jean-Charles Houillon et Isabelle Delahaye y expliquent en effet que certains types de compliments, tels que « comme tu es intelligent(e) ! », « que tu es doué(e) en maths ! », loin de renforcer la confiance en soi des enfants, ont plutôt tendance à les décourager face à des tâches difficiles, et donc à faire obstacle à leurs futurs apprentissages.

L’idée selon laquelle il serait bénéfique de louer l’intelligence et les aptitudes des enfants est née dans les années 1960 et 1970, suite à des travaux et des recherches sur la construction de l’estime de soi. Finis les bons points, images ou autres récompenses matérielles, il fallait désormais stimuler les élèves en ayant recours à des appréciations positives formulées oralement, et donc leur adresser autant que possible des « compliments non critiques ».

Dans les années 2000, Carol Dweck, professeure de psychologie sociale à l’université américaine de Stanford, a cherché à savoir si ce mouvement de promotion de l’estime de soi né 30 ans plus tôt avait bien l’effet escompté : constate-t-on qu’un enfant félicité est un enfant plus motivé ?

D’après les résultats de ses recherches, ce n’est pas du tout le cas. Plus précisément, tout dépend du type de compliments que l’enfant reçoit : les compliments qui concernent sa personne (et qui sont souvent ceux que les adultes, parents ou enseignants, adressent le plus volontiers) semblent totalement contre-productifs. En effet, l’enfant comprend implicitement que si un adulte vante son intelligence, un autre pourrait tout aussi bien le juger, même sans le lui dire, médiocre intellectuellement voire stupide. En d’autres termes, il saisit que la qualité de ses performances est corrélée à sa valeur en tant que personne : ce que l’on juge, c’est lui, pas ce qu’il fait. Dès lors, pour ne pas courir le risque de perdre de sa valeur aux yeux de l’adulte ou aux siens, il va éviter les tâches trop difficiles et donc ne pas aller aussi loin dans ses apprentissages qu’il aurait pu le faire.

À la faveur de cette étude notamment, Carol Dweck a pu mettre au jour deux théories opposées – et le plus souvent inconscientes – que les élèves se forment à propos de leur propre intelligence. Certains la conçoivent comme une donnée fixe, immuable, attribuée une bonne fois pour toutes dès la naissance : leurs réussites comme leurs échecs sont alors le fruit de leurs capacités innées. D’autres au contraire pensent que l’intelligence est malléable, peut se développer, et que ce sont avant tout leurs efforts qui expliquent les résultats obtenus face aux apprentissages. On l’aura compris, les petits théoriciens de l’intelligence « fixe » ont davantage peur de l’échec que ceux qui croient à l’intelligence « incrémentale » : pour ces derniers, un échec ne remet pas tout en cause, puisqu’il est toujours possible d’améliorer sa performance en essayant de nouveau. Selon Carol Dweck, cet état d’esprit « de développement » a une incidence très positive sur la scolarité, mais aussi sur tous les aspects de l’existence : il permettrait de vivre une vie moins stressante et de s’accomplir davantage.

Il n’est évidemment pas question de ne plus faire de compliments à ses enfants ; il s’agit plutôt de prendre soin de féliciter le processus, c’est-à-dire les moyens mis en œuvre et les efforts consentis pour réaliser une tâche, en disant par exemple : « je vois que tu t’es appliqué(e) pour ce travail », « que tu y as passé du temps ». On évite ainsi à l’enfant de relier sa performance, bonne ou mauvaise, à sa valeur personnelle. On ouvre dans le même temps la possibilité d’émettre une critique constructive : si le résultat n’est pas au rendez-vous, on peut interroger l’enfant sur ce qu’il pourrait changer dans sa façon d’aborder la même tâche la fois suivante : « Cela ne semble pas fonctionner, que penses-tu pouvoir faire différemment la prochaine fois ? » En centrant ainsi l’appréciation sur l’évaluation de l’investissement, on favorise la théorie implicite selon laquelle la performance dépend avant tout de la notion d’effort, de volonté ou de méthode, et non de capacités immuables. Et on évite que les éloges ne deviennent une menace contre l’estime de soi qui entretient la peur de l’échec…

« Mal » complimenter un enfant ou un ado n’est bien sûr pas la pire erreur que l’on puisse commettre. Cependant, et comme le rappelle l’article cité plus haut : « Motivation et estime de soi semblent des points sensibles dans le système scolaire et dans la compréhension de la réussite ou de l’échec dans l’école. » Pour approfondir cette compréhension, il est important de prendre en compte les appréciations et les retours qu’un élève reçoit à propos de son travail, et tout particulièrement s’il rencontre des difficultés ou s’il doute de ses capacités à réussir.

 

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